I
La rive est creusée en forme de lyre:
La Bouche du Port
Sur l'onde aplanie admet le navire
Où flottent nos Morts
Adouci, nimbé de tendres lumières
Leur visage est beau
Tel que l'ont pâli le vent des prières
Et l'air des tombeaux.
Mais qu'y reste-t-il des bonheurs du monde?
L'amitié, l'amour
Sont-ils repoussés dans la nuit profonde
Qu'y fait le vrai Jour?
Ou, comme l'implore un soupir au large
De l'immense mer,
Leur est-il laissé le souci, la charge,
L'honneur de la Chair?
S'il doit arriver un jour que la gloire
Éteinte des corps
Reprenne au bûcher de leur cendre noire
Son antique essor,
Si tout ce qu'émeut de tristesse amère
L'orbe évanescent
Des matins, des soirs, des nuits qu'enflammèrent
Les torches du sang,
Si les pas dansants, les rires, les grâces,
Désir et beauté,
Ce qu'ils font rêver, fragile et fugace,
De l'éternité,
D'une voix qui tinte aux longues mémoires
Le cristal et l'or,
La coupe des yeux qui nous firent boire
La vie et la mort,
L'arôme, le goût, le chant, les paroles,
Si tout leur revient,
Même un survivant que rien ne console
Gémira: - C'est bien.
Charles Maurras
SOMMAIRE